mercredi 11 juin 2014

Danemark-USA, 2-1 !

When Animals Dream de Jonas Alexander Arnby
VS
It Follows de David Robert Mitchell

Non, ce n'est pas le résultat anticipé d'un match de la coupe du monde de football, mais une comparaison entre deux films fantastiques passés à la Semaine de la Critique à Cannes (et repris dans la foulée à la Cinémathèque française).
Comparer deux films aux visées esthétiques clairement différentes n'a pas forcément grand sens, mais permet peut-être justement de mieux mettre en lumière ces différences - alors allons-y pour l'arbitrage (en commençant par le plan thématique).

Chacun des deux films mixte deux types de films fantastiques pour mieux renouveler le genre, mais avec un résultat différent.
It Follows
est avant tout un film de malédiction transmissible (ici sexuellement, bonne idée) à la Ring, l'originalité venant de la nature de cette malédiction : des zombies qui essayent de vous attraper.
De façon semblable, When Animals Dream est un film de vengeance à la Carrie (une humiliée se découvre un don et s'en sert pour punir ses bourreaux), sauf que le don en question est la lycanthropie, vécue comme une maladie.
Malgré cette similarité de thème (la maladie, implicite dans un cas et explicite dans l'autre) et de processus (le croisement de deux sous-genres), un seul des deux films me semble atteindre l'originalité qu'il revendique, sans doute en raison de la façon dont il traite la maladie et les personnes qui en sont atteintes.

En effet, la jeune héroïne de When Animals Dream (Marie) est un authentique personnage, auquel on s'attache : du reste, l'actrice qui l'incarne est une non-professionnelle au visage légèrement atypique et à l'air renfermé (excellente Sonia Suhl).
Au contraire, l'héroïne de It Follows (Jay) n'est qu'un avatar de plus de ces beaux adolescents qu'on voit à la pelle dans les teen-movies : elle est un archétype plus qu'un personnage, ce que le reste du casting confirme, en convoquant toutes les figures imposées du genre (le beau gosse sceptique qui finit par se faire dézinguer VS l'ami d'enfance débrouillard qui récupère la jolie fille à la fin).

En outre, la maladie dans When Animals Dream est traitée avec autant de gravité que dans un film réaliste sur le sujet, en posant par exemple la question de savoir si l'on peut trouver belle (et donc aimer) une fille couverte de poils et à la bouche en sang (au moins un personnage répond oui, et le spectateur est d'accord avec lui).
Au contraire, dans It Follows, la maladie est une punition qui s'abat sur ceux qui ont couché avec la mauvaise personne.
Si les relations en question n'étaient pas consenties, on pourrait se dire que le film ne cherche pas à véhiculer une morale puritaine, mais la première relation n'est clairement pas un viol (et un policier le souligne en posant la question à Jay devant nous).
Notez que vu que les deux autres relations sont plus inspirées par la peur que par le désir, un changement infime dans le scénario aurait suffi à dissiper cette ambiguïté gênante (qui semble voulu en l'état actuel des choses).

Du reste, le traitement de la sexualité dans It Follows ne peut manquer d'interroger le spectateur, si peu féministe soit-il.
Certes, les trois rapports mis en scène dans le film sont initiées par Jay, qui se retrouve même dessus son partenaire (donc en position dominante ?) dans le premier et le dernier, mais à aucun moment elle ne semble retirer le moindre plaisir de ces actes ; en revanche, on entend les garçons soupirer (pour ne pas dire grogner), comme si le sexe n'était fait que pour leur seule satisfaction.
En comparaison, When Animals Dream ne met en scène qu'un rapport, dans la position préférée d'It Follows, mais pour un résultat sensiblement différent - avec en plus une très jolie idée de mise en scène pour souligner le plaisir de l'héroïne (le ralenti et le son coupé).
(Et je ne parle même pas du fait que le film tout entier pourrait être vu comme une façon très féministe de lutter contre la tyrannie de l'épilation...)

Venons-en à la mise en scène, justement.
Celle de When Animals Dream est très fluide, sans fioritures (des plans relativement brefs, s'enchaînant par montage parallèle ou raccords-regards), comme pour mieux se mettre toute entière au service de l'histoire.
Au contraire, celle d'It Follows est virtuose, multipliant les surgissements dans la profondeur de champ ou les mouvements d'appareils pour explorer l'espace d'où les zombies peuvent surgir à tout moment : elle décuple l'effet des scènes horrifiantes, et va même jusqu'à créer de la tension dans les scènes neutres (je pense à ce panoramique à 180 degrés pendant que Jay et Greg enquêtent dans le lycée de Hugh-Jeff).
Visiblement, David Robert Mitchell veut, comme Brian De Palma, s'inscrire dans la filiation hitchockienne, et il y réussit très bien sur le plan formel : le suspense est très réussi, et le film très prenant (la musique de Disasterpeace y aide).

Sauf que si l'auto-proclamé maître du suspense prétendait ne vouloir réaliser que des films semblables à des tranches de gâteaux (et pas à des tranches de vie), il a, dans tous ses grands films, mis le suspense au service d'une vraie histoire d'amour (voir notamment Rebbeca, Notorious ou Vertigo), nous touchant au coeur avant de nous remuer les tripes.
Et c'est bien ça qui manque à It Follows, qui est pourtant un film d'horreur réussi (comme le cinéma américain arrive encore à en faire, et je ne suis pas le dernier à le remarquer), mais sans la profondeur et la sensibilité de When Animals Dream.
En clair, It Follows n'est au final qu'une réussite de plus dans un genre balisé, alors que When Animals Dream, tout en évoquant fugitivement des classiques du film fantastique (notamment Nosferatu et Frankenstein), arrive à quelque chose de plus original (et de très romantique au fond).

Pour me résumer : It Follows est le genre de films où l'on emmène ses copains, alors que When Animals Dream est plutôt celui où l'emmène la femme de sa vie...

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